Reconstruire la fabrique de compétences pour éviter le décrochage

Stanislas Guerini
Stanislas Guerini
Publié le 19 mai 2025

Notre système reste structuré autour d’une vision statique : une personne, un diplôme, une case. Dans un monde où l’innovation et la compétitivité passent par l’agilité des compétences, la France risque le déclin économique, souligne une tribune collective signée par l’ancien ministre Stanislas Guerini et le président de la Fondation travailler autrement, Patrick Levy-Waitz.

Les grandes transitions – écologique, numérique, démographique – transforment en profondeur les façons de produire, de consommer, de vivre ensemble. Mais elles ont un point commun : elles bouleversent nos compétences.

Le constat que réalise l’OCDE est implacable : l’obsolescence des compétences d’un cadre d’entreprise était de trente ans au début des années 1980, elle est de moins de trois ans aujourd’hui. Multipliée par dix en trente ans. Ce n’est plus seulement un enjeu d’adaptation ponctuelle : c’est un changement de nature. L’essor de l’IA générative notamment, redéfinit les contours des métiers, bouscule les organisations, déplace les frontières entre tâches humaines et automatisables. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement ce que nous savons, mais ce que nous sommes capables de faire, de comprendre, d’inventer.

Un risque stratégique
C’est une révolution silencieuse, mais systémique. Et elle nous prend de vitesse, notre système peine à s’adapter. Il reste trop structuré autour d’une vision statique : une personne, un diplôme, une case. Cette logique, héritée d’une époque où les parcours professionnels étaient linéaires et les titres durables, ne fonctionne plus dans un monde où les reconversions sont la norme, où les métiers évoluent sans cesse, et où l’apprentissage est un processus continu.

Cette inadaptation n’est pas qu’un problème technique. C’est un risque stratégique. Un risque de décrochage économique, dans un monde où l’innovation, la compétitivité et notre souveraineté passent par l’agilité des compétences. Un risque de décrochage social, aussi. Des compétences invisibles, non reconnues, bloquées dans des grilles figées.

Et pourtant, le débat public reste très focalisé sur des indicateurs quantitatifs – le niveau du SMIC, le taux d’emploi – sans interroger la capacité du pays à faire monter en compétences son tissu économique et social.

Alors il est temps de changer de logiciel. De rebâtir une fabrique des compétences, qui reposerait sur quatre grands piliers.

télétravail vendredi bureau organisation du travail management
télétravail vendredi bureau organisation du travail management

D’abord une révolution culturelle. En sortant de la seule religion du diplôme initial. En actant la bascule d’un monde de la connaissance à un monde de la compétence, c’est-à-dire la capacité à mettre les connaissances en action, qu’elles soient acquises par l’école, le travail, la formation, l’engagement associatif ou les expériences de vie. Inspirons-nous des modèles qui valorisent les aptitudes réelles et construisons une grammaire commune des compétences.

Ensuite, cela suppose de refonder assez largement l’enseignement initial que nous donnons à nos enfants. Les préparer à un monde en mouvement sans cesse plus rapide. Donner à chacun des savoirs fondamentaux, mais aussi une capacité d’adaptation, de raisonnement, de créativité. L’IA doit être comprise, utilisée, critiquée – pas subie. L’enseignement supérieur doit devenir plus fluide, plus interdisciplinaire, plus perméable aux réalités économiques et sociales.

Cette tribune collective est signée notamment par Stanislas Guerini, ancien ministre et senior partner de Topics, et Patrick Levy-Waitz, président de la Fondation Travailler autrement.

Les autres signataires sont :

Gilles Babinet, entrepreneur ;

Bruno Bonnell, secrétaire général de France 2030 ;

Fabienne Chol, DRH de la région Ile-de-France ;

Alain Druelles, associé fondateur du cabinet Quintet ;

Carole Grandjean, ancienne ministre et DG RH du groupe Etam ;

Batoul Hassoun, CEO de The Salmon Consulting ;

Ons Jelassi, directrice en charge de la formation continue à Télécom Paris ;

Bruno Mettling, président-fondateur de Topics

Eloïc Peyrache, directeur général d’HEC Paris

Bernard Ramanantsoa, directeur général honoraire d’HEC Paris ;

Guillaume Trichard, dirigeant syndical ;

Jean-Noël Tronc, ancien directeur général du CNED, enseignant.

Stanislas Guerini
Stanislas Guerini
Publié le 19 mai 2025